Elvis
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Posted: Sun Jul 02, 2006 1:54 pm
Sur le sujet de la St-Jean voici un texte inspirant
Matin de la St-Jean. On fête un pays qui n'a jamais existé. On le fête comme s'il existait depuis toujours.
Une fois par année, on triche; on y goûte comme s'il était à nous. Comme un pauvre qui se loue un smoking et une limousine, et qui se sent riche l'espace d'une journée.
Mais, dans ce cas-ci, il s'agit d'un "pauvre" qui a tout l'argent nécessaire pour se le payer, la limousine et l'habit de singe. Une fois par année, pendant un jour, on se loue un pays et toute la fierté qui vient avec. On se dit québécois alors qu'on est bel et bien canadien. Il est écrit sur mon passeport que je suis canadien, et j'aurai beau crier sur tous les toits que je suis québécois, ça ne change rien à la réalité...
On est comme un homme marié qui passe la fin de semaine avec la maîtresse qu'il aime depuis toujours: il n'est pas plus divorcé pour ça. Il a beau se vanter d'être avec deux femmes à la fois, d'avoir le meilleur des deux mondes, la réalité, c'est qu'il n'est ni avec l'une ni avec l'autre. Je pense qu'il ne peut être qu'une moitié d'homme. Une moitié d'homme marié, s'entend.
Pourtant, chaque année, je triche. Je me tape une fin de semaine avec mon "vrai" pays. Chaque année, je me pointe au coin de Sherbrooke et Cherrier pour assister au défilé (invariablement platte depuis quelques années) et, chaque fois, mon coeur se gonfle à la vue de cette grande foule bleue et blanche qui ressemble tellement à l'endroit d'où j'aimerais venir.
J'ai besoin de venir de quelque part. J'ai besoin d'une histoire. Or, ici, on s'est (on nous a) coupés de l'histoire pour éviter les conclusions qu'elle impose. On s'est coupés de nos ancêtres, de nos héros, de nos méchants, de nos vieilles batailles, des coups reçus et des coups donnés. Comment célébrer la vie de De Lorimier et en même temps, dire non au pays pour lequel il est mort? Mieux vaut l'oublier. Et en l'oubliant, c'est notre coeur même qu'on oublie...Pourquoi ne pas inscrire: "Je m'oublie" sur nos plaques d'immatriculation?
On ne s'oublie pas impunément. On ne se dit pas "non" impunément non plus. Il y a des conséquences graves à ces refus de s'affranchir. Et je ne parle pas des conséquences économiques (bien qu'il y en ait); je parle des traces que ça laisse dans nos coeurs. Ce n'est pas pour rien qu'on se sent petits chez nous, qu'on se méfie du succès comme d'un crime. Ce n'est pas pour rien qu'on manque de confiance en nous, qu'on se sent moins bons que les autres, qu'on place des "Ti" devant le nom de nos héros (Ti-Guy, Ti-Poil, Ti-Zoune). Ce n'est pas pour rien que l'expression "né pour un p'tit pain" est l'une des plus québécoises qui soit. Ce n'est pas pour rien qu'on parle avec des moitiés de phrase, qu'on est gênés d'exister. Une conquête, ça ne s'oublie pas du jour au lendemain. L'humiliation non plus.
Pourquoi l'indépendance? Parce qu'on la veut, tout simplement. Parce qu'on la veut et qu'on a le pouvoir de la faire. Parce que c'est là où notre coeur se tient le plus et où il se tient le plus debout. Parce que, bien que la vie et la mort de René Lévesque aient soulevé les plus belles passions, personne n'a jamais chanté: "Mon cher Trudeau, c'est à ton tour..." Parce qu'il est grand temps d'être franc.
Luc Picard
24 juin 1997